Paris douzième, génération spontanée, un peu court.
Manquent des racines, des liens, des souvenirs de famille, un bric-à-brac
avec des odeurs et des saveurs sentimentales. Du rance, du rouillé, du
périmé, du kitsch, du joli. Un arrière-pays affectueux, peuplé de
gens chair et os. Une saga familiale, légitime, universelle. À la place,
je possède les riches heures des magazines internationaux : Life, and
death. Photos de corps décharnés et nus, en tas ou épars, hommes en
pyjamas rayés, crânes rasés, femmes aux yeux sans regard. Parfois je
me surprends à dévisager les êtres sur la photo, morts ou vifs,
tremblant d'y reconnaître l'un des nôtres.
Manquent désespérément mes grands-mères et leurs pâtisseries.
Dans la famille de Nénesse et Lili, je réclame les grands-parents. Mais
où se trouve le bureau des réclamations ? À qui adresser la lettre ?
Je supplie Livia de remettre la chair autour des os. De substituer sa
mémoire à celle des magazines, de me refaire un arbre généalogique
feuillu, avec bruit du vent qui passe et racines noueuses.
Finalement, quarante-cinq ans après ma naissance, quarante-neuf
après Auschwitz, elle promet de parler.