Revue d'histoire de la Shoah. n° 185, Les conseils juifs dans l'Europe allemande
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Souvent confondus sous le terme polémique
de Judenrat, les conseils placés par les
Allemands à la tête des communautés juives
de l'ensemble de l'Europe occupée ont-ils été
des machineries impeccables autant qu'implacables,
transposables dans tous les pays
avec la même efficacité ? Précocement expérimenté
à Vienne en 1938, le modèle autrichien
du Judenrat domine les localités juives de Pologne où les situations
sont cependant diverses. Ce modèle du Judenrat est ensuite transposé par
les Allemands en 1941 aux communautés juives de Salonique, des pays baltes
et des territoires soviétiques envahis, puis, en mars 1944 aux communautés
juives de Budapest quand s'enclenche l'extermination des Juifs de Hongrie.
Mais ce modèle ne correspond pas à la situation qui prévaut en Europe occidentale,
si l'on excepte le cas d'Amsterdam.
Depuis plus d'un demi-siècle, le sujet est un enjeu de mémoires, souvent
relayé par des articles, des ouvrages polémiques, voire des procès. Ils visent
des «notables» juifs présumés «collaborateurs» : mais ce terme, qui
implique un choix idéologique et une marge de négociation entre vainqueurs
et vaincus, est-il pertinent quand il s'agit des Juifs ? Ces dirigeants étaient-ils
étrangers à leurs communautés, étaient-ils «créatures» des nazis ? Placés à
la tête des oeuvres d'assistance, avaient-ils un programme ? Pouvaient-ils
être accusés d'avoir sciemment aveuglé leurs coreligionnaires au sujet des
préparatifs de l'extermination, voire, pour prix de leur propre survie, de les
avoir livrés ? Après guerre, de nombreux jurys d'honneur ont mis en cause
des dirigeants de Conseils juifs (Amsterdam, Bruxelles, Paris, Europe centrale
et Israël, même lors du procès Kasztner de 1955). Périodiquement relancées,
ces accusations portent la marque d'un débat éthique dont la philosophe
Hannah Arendt s'était fait l'écho au moment du procès Eichmann en 1961.