Le silence de l'historiographie pourrait laisser croire que la Bretagne fut une
terre sans Juifs, au moins après que Jean Ier le Roux eût apposé, en 1240, son
sceau à l'ordonnance de Ploërmel qui les bannissait du duché. Quelques
études, publiées dans des revues savantes, ne suffisaient pas à infirmer l'impression
que la rencontre historique entre la Bretagne et les Juifs avait attendu
le second procès Dreyfus qui se déroula à Rennes durant l'été 1899.
En retraçant, pour la première fois, la totalité de l'histoire des Juifs en
Bretagne, l'ouvrage de Claude Toczé et Annie Lambert ne porte pas seulement
témoignage de leur présence séculaire, fusse en petit nombre, il révèle les
multiples façons dont ils existaient dans le regard des autres, selon les catégories
sociales et selon les époques. Il invite aussi à nuancer l'image d'une
Bretagne soumise à ses prêtres et abreuvée d'antijudaïsme
théologique.
L'héritage de la Révolution et de l'Empire fait de
chaque Juif un citoyen français. En Bretagne, trois
générations vont connaître un relatif «âge d'or»,
dont la synagogue de Nantes, inaugurée en 1871,
symbolise à la fois l'attachement à la communauté
et l'intégration à la cité. L'équilibre est bientôt
rompu par la vague antisémite de la fin du siècle.
L'antisémitisme racial, qui s'impose au xxe siècle, fit
ainsi des adeptes en Bretagne dans les rangs des
partisans d'un État breton, indépendant et «racialement
pur».
Octobre 1940, en Bretagne comme dans toute la zone
occupée, les Juifs sont recensés et soumis à un statut
dérogatoire. Spoliation, marginalisation puis, à partir de 1942, rafles et déportations
se succèdent dans les cinq départements de la Bretagne historique,
faisant plusieurs centaines de victimes.