L'histoire d'Abraham Louis, Mirepoix-Bordeaux-Mirepoix, 1744-1829 : une généalogie
Auteur Christine Belcikowski
Le 7 germinal an VIII
(28 mars 1800), disent les
registres de Mirepoix, Ariège, un
certain Jean Dabail et sa bande,
qui ont terrorisé la contrée de
Mirepoix (Ariège) au temps de
la Révolution française, tentent d'assassiner le gendarme
Rives, qui se rend de Mirepoix
à Pamiers en compagnie d'un
marchand, nommé Abraham Louis. J'ai voulu en savoir plus
sur cet Abraham Louis (1744-
1829), dit « le Juif », qui, venant
de Bordeaux, a été marchand à
Mirepoix (Ariège) de 1792 à 1812,
qui s'y est illustré par la vigueur
de son engagement républicain, qui est retourné ensuite à
Bordeaux, et dont la trajectoire
de vie demeure finalement énigmatique à bien des égards.
Quand certains hommes ou
femmes se font connaître par
des faits, que l'histoire retient,
d'autres passent sur la terre
sans laisser grosso modo d'autres
traces que les actes religieux ou
civils correspondant aux trois
grandes étapes de l'existence
commune : naissance, mariage,
décès. Ceux-là ne peuvent faire
l'objet que d'une enquête généalogique, seule propre à les inscrire dans le plan d'une histoire
plus longue qui, une fois éclairée,
donne sens à leur incognito, partant, aux heures de leur vie.
L'exégèse juive distingue de façon essentielle l'ioropia (historia),
ou l'histoire des faits, telle qu'on
l'entend depuis l'antiquité gréco-
romaine, et le (...) (toledot), ou
l'histoire des engendrements, telle qu'on la trouve dans les listes généalogiques bibliques. C'est
cette histoire-là que j'ai envie de
raconter, dans le continuum de
ses générations obscures ; et c'est
dans le cadre de cette histoire-là
que j'ai tenté déjà d'éclairer la
figure d'Abraham Louis, qui, à
partir de son identité marrane,
se réclame des hommes « justes,
honnêtes et de bonne foi », comme dit Spinoza, et nous renvoie
ainsi à la question de l'universel,
aujourd'hui plus actuelle que
jamais.
Il y a une esthétique des
généalogies qui tire son modèle
de la Bible et de la tradition
gréco-latine. Outre qu'elle nous
reconduit aux fastes poétiques
de l'Orient ancien, elle nous relie
au monde des engendrements,
grands ou misérables, quelle
célèbre ou plaint dans la profondeur du temps. Les généalogies
relèvent d'une sorte de pacte de
lecture qui annonce ou révèle au
lecteur, même si celui-ci saute
les noms ou les dates, comment
il convient de prendre l'histoire
du personnage considéré. Les
généalogies du marranisme montrent qu'une telle histoire procède à la fois d'une longue suite
de médiations humaines qui tend
à se constituer en destin, et d'une
part de contingence qui permet
éventuellement à l'individu de se
saisir d'une espérance nouvelle
et de nourrir à la clarté de cette
dernière le possible d'une liberté.