À l'aide de témoignages soutenus par un appareil critique
extrêmement précis, il est possible de faire oeuvre d'historien.
La Tunisie est un pays que la Shoah européenne a effleuré de
son souffle et où les persécutions subies par les Juifs du fait des
Allemands ont été, hélas, bien réelles, même si les nazis n'ont
pu infliger au judaïsme tunisien le traitement spécial réservé aux
populations juives tombées sous leur domination. Sachant à quoi
ils avaient échappé, les Juifs tunisiens ont eu le tact de ne pas insister
sur les souffrances et les angoisses qu'ils ont endurées.
Il nous a paru nécessaire de publier, en trois volumes de notre
collection, des récits rédigés dès la libération de la Tunisie en mai
1943. Le premier témoignage est celui de Robert Borgel, avocat au
barreau de Tunis, fils de Moïse Borgel, président de la Communauté
israélite de la même ville. Tous deux furent des acteurs de premier
plan de ce drame.
Le texte de Robert Borgel est particulièrement vivant et détaillé. Il
explique avec intelligence chaque développement d'une situation
de paroxysme, où les dirigeants de la Communauté tentent et
réussissent le sauvetage de leurs coreligionnaires retenus entre les
mains des pires criminels ; le chef de la police nazie, Walter Rauff,
n'était-il pas celui qui, à Berlin, avait été en charge des terrifiants
camions à gaz, lesquels avaient gazé les Juifs, des États Baltes jusqu'à
la Yougoslavie ? Grâce aux multiples et remarquables notes de
Claude Nataf, ce témoignage prend une dimension historique
élevée ; tout un pan de l'histoire des Juifs pendant la Shoah, en
un territoire apparemment éloigné et pourtant si proche de la
catastrophe, est révélé au lecteur.
Serge Klarsfeld