Il est fréquemment arrivé après la Shoah que des couples se forment sur
un terrain de douleur commune. Fanny et David, enfants juifs pris dans
la tourmente exterminatrice nazie, partagent plus que le traumatisme des
persécutions et la disparition de leurs proches, ils ont en commun le même
univers - le Paris du XIe arrondissement -, la même culture séfarade et la
même langue : le judéo-espagnol de leurs ancêtres turcs et saloniciens.
Tous deux ont vu leurs pères être victimes de la rafle dite «du XIe arrondissement»
(20 août 1941), à la suite de laquelle la cité de la Muette inachevée
devint le camp d'internement de Drancy : ils seront déportés treize mois plus
tard et exterminés.
Fanny et David voient d'autres membres de leur famille et de leur
Communauté disparaître. Ils subissent tous deux à Paris les discriminations
antijuives, mais connaissent ensuite des parcours différents. Fanny survit
dans la clandestinité avec sa mère et sa soeur aînée en Bretagne. Le sort
de David est plus tragique : il doit sa survie à sa mère qui, lors de leur
arrestation la nuit du 4 au 5 novembre 1942, a la force de caractère de lui
mettre dans les bras son petit frère - né quelques jours après l'internement
de leur père à Drancy -, et de les pousser sous une porte cochère pour
les soustraire à la déportation dont elle-même ne reviendra pas. Les deux
frères, orphelins, tombent dans l'errance physique et affective des «enfants
juifs cachés». Ils trouvent refuge auprès de particuliers et d'institutions
communautaires : l'UGIF puis l'OSE...
Soixante-dix-sept lettres échangées par leurs parents lors de la détention
à Drancy sont à l'origine de cette entreprise de mémoire qui a conduit
Fanny et David à s'engager dans la recherche de leurs racines séfarades et à
travailler sur leurs souvenirs.
Grâce à ce livre, fruit de dix ans d'efforts, Fanny (décédée en 2001) et
David ont creusé avec leurs mots une sépulture digne pour leurs chers
disparus, ces disparus auxquels les nazis refusaient l'existence au-delà
même de la mort, jusque dans les mémoires.