Citoyens d'Allemagne sous la République de Weimar, ou de l'Empire Austro-Hongrois, ils vivent dans ces deux pays hostiles, dont les populations, mal disposées à leur égard, jettent sur eux un regard discriminatoire les désignant comme juifs et les excluent de leur société. S'ils ne veulent pas être vus ou lus comme auteurs juifs, il leur faut se délester du judaïsme ancestral, emprunter pour leurs écrits, la langue allemande pratiquée par les grands écrivains. Ainsi Karl Kraus s'instaure en cerbère de la langue de Goethe, avec une exigence quasi fanatique... Ernst Kantorowicz s'invite dans les cercles prussiens les plus fermés, fasciné par la germanité chevaleresque médiévale... Alfred Döblin s'insère dans la foi catholique par une dévotion à Jésus Christ... Joseph Roth, porté par son admiration pour l'Empereur habsbourgeois, prétend au grade d'officier de sa garde... Theodor Lessing éprouve un bonheur amoureux auprès d'une jeune fille apparentée à la Maison Hohenzollern... Alfred Kantorowicz combat le fascisme en Espagne dirigeant une brigade républicaine contre Franco... Anna Seghers devient militante communiste, ses convictions jamais démenties... Hannah Arendt se revendique juive, quand le regard de l'autre la désigne comme telle, non juive intérieurement... Arthur Koestler reconsidère l'image du jeune juif nouveau, pelle sur l'épaule, mitraillette en bandoulière, prêt au combat pour un retour à la terre des ancêtres. Sioniste libéré de toute religiosité, il fuit les tenants du culte, fidèles aux Écritures selon lesquelles Dieu seul peut rendre la Terre Promise. En 1933, dès que commence la persécution des Juifs, ces affranchis du judaïsme deviennent les premières cibles. Et ceux d'entre eux, épris de germanité, désormais floués, devront vite se décider à l'exil. Sinon, ils n'auront d'autre choix que le suicide ou attendre d'être assassinés par ceux-là même qu'ils vénéraient.