Les Juifs de Tunisie sont les seuls Juifs au monde à être tombés massivement
sous le pouvoir de l'Allemagne hitlérienne et à avoir échappé à la Shoah.
Pourtant l'anéantissement de cette Communauté était prévu, comme le
prouve la présence à la tête des forces de police allemande du colonel SS
Walter Rauff : responsable du programme des camions à gaz, il avait été
envoyé en 1942 à Athènes à la tête d'un Kommando spécial dans la perspective
de la victoire de l'Afrika Korps. Sa mission : la liquidation des Juifs d'Égypte
et de Palestine.
La défaite de Rommel, son reflux à l'Ouest et l'occupation de la Tunisie
par l'Afrika Korps ont propulsé Rauff à Tunis fin 1942. Heureusement, les
troupes alliées ont fini par vaincre l'Afrika Korps au printemps 1943 et dans
l'intervalle la déportation des Juifs tunisiens vers l'Europe par la Méditerranée
a été rendue impossible par la maîtrise maritime anglo-saxonne.
Il n'en demeure pas moins que les Juifs de Tunisie ont connu l'angoisse, les
rançons, les pillages, les souffrances du travail forcé et des dizaines de morts.
Mais si leur situation n'a pas été pire encore, ils le doivent à l'intelligence
et à l'habilité des dirigeants de leur Communauté, interlocuteurs exclusifs
de terrifiants tueurs de Juifs, qu'ils ont réussi à manoeuvrer pour le plus
grand bien de ceux qu'ils représentaient. Soucieux de savoir précisément
quel fut le sort des Juifs Tunisiens, nous avons entrepris de publier plusieurs
témoignages de valeur. Dans le premier récit publié, Robert Borgel a fait
oeuvre d'historien comme le souligne mon ami Claude Nataf, président de
la Société d'histoire des Juifs et de Tunisie et auteur du précieux appareil
critique de cet ouvrage.
Le second témoignage, celui de Paul Ghez est à tous points de vue passionnant.
Héros des deux guerres, âgé de 44 ans, avocat très en vue, dirigeant
moderniste de la Communauté, Paul Ghez, homme de caractère, a tenu tête
à Rauff avec succès. Son journal, écrit au jour le jour, nous fait partager les
péripéties de la lutte engagée avec la Gestapo, du sort de la population juive
et des travailleurs forcés et de ses propres états d'âme et dilemmes dans une
situation toujours critique, où il dut faire preuve d'un courage et d'un sang-froid
exceptionnels.
Serge Klarsfeld