En 1994, aux yeux du monde et malgré les «plus jamais ça», l'inimaginable
s'est de nouveau produit au Rwanda, théâtre d'un génocide où près
d'un million de Tutsi et de Hutu modérés ont subi le déferlement de la
violence la plus extrême. Comme pour les autres crimes de masse qui ont
marqué le XXe siècle, il n'existe que très peu d'images de cet événement.
Pour témoigner de l'horreur, le cinéma apparaît donc comme un défi risqué
mais reste, dans sa dimension fictionnelle surtout, un outil privilégié,
voire primordial pour suggérer l'indicible.
Cette étude consacrée aux représentations cinématographiques du génocide
rwandais s'inscrit dans le foisonnement littéraire, plastique et visuel
qui a émergé après le drame de 1994. Si de nombreux documentaires ont
donné la parole aux rescapés, établissant la vérité historique du génocide
et interrogeant la possibilité du «vivre ensemble», dix films de fiction
ont jusqu'ici tenté de reconstituer la folie collective qui s'est emparée du
Rwanda. Ils contribuent, à leur manière, à construire et à transmettre la
mémoire internationale du génocide des Tutsi.
La mise en fiction d'un phénomène aussi traumatisant soulève de nombreux
enjeux, aussi bien éthiques qu'esthétiques. Elle dévoile les frontières
de la représentation, pose la question du témoin et du regard, tout en
présentant une garantie d'authenticité vis-à-vis des survivants, exhortés
à se confronter de nouveau, pour les besoins de la caméra, à leurs bourreaux
d'hier. Le film de génocide se révèle également un moyen thérapeutique,
à la fois pour alléger la culpabilité des Occidentaux et pour exprimer
le traumatisme des rescapés dont certains contribuent aujourd'hui à
l'émergence du cinéma rwandais.
En empruntant aussi bien à l'histoire qu'à l'anthropologie et à la psychanalyse,
le présent ouvrage revient en détail sur la place des fictions cinématographiques
dans le corpus artistique issu du génocide rwandais et
démontre, au-delà des questions de représentation, la responsabilité d'un
art comme le cinéma - documentaire et de fiction - dans la construction
de la mémoire d'un événement historique majeur de notre temps.